
Le pèlerinage
Frère Abel, Pascal et Fabien préparent effectivement cette traversée de l’Atlantique depuis début 2017.
Au printemps 2017, Sterenn est adapté à la navigation hauturière (AIS et GPS) et équipé d’un bas-étais, d’un solent et surtout d’un skeg en avant du safran.
Après le National Muscadet à Lézardrieux en Juillet 2017, Sterenn traverse la Manche et fait escale à Noss Mayo, Looe et Mousehole (Cornouailles anglaises) avant de rejoindre les îles Scilly.
Puis retour à l’île de Sein.
Pour l’équipage, le test est concluant et le projet d’un pèlerinage pour la Paix à la voile, en commémoration du centenaire de l’Armistice de 1918, voit le jour.


Les 16 et 17 Juin, nous sommes au Bono (Morbihan) pour le départ de “La Longue Route” : tour du monde en solitaire et en non-course, dans le sillage de Bernard Moitessier. Nous rencontrons plusieurs des navigateurs solitaires qui vont affronter les trois caps et sommes de tout cœur avec eux.
Pour les suivre en direct : La Longue Route 2018
Ileana Draghici et Véronique Lerebours, compagnes de Moitessier, nous accueillent magnifiquement.


Nous sommes maintenant prêts pour ce pèlerinage auprès des descendants des poilus de couleur qui se sont battus pour la France de 1914 à 1918.
Notre objectif, en tant que mini-“Longue Route”, est de rencontrer les descendants des tirailleurs sénégalais, des tirailleurs marocains, des Antillais et autres peuples frères.
Au lieu d’une simple transat de 6.000 kms environ, nous allons descendre les côtes d’Afrique jusqu’en Casamance rencontrer le peuple Diola, puis nous remontrons sur les îles du Cap-Vert, avant d’entamer la traversée proprement dite, ce qui représente une double navigation (par rapport à une simple transat) d’environ 12.000 kms.
Lundi 25 Juin : fin de la préparation du Muscadet “Sterenn”, après une révision complète, moteur compris – grand Merci, Franck !
Mardi 26 Juin à 17h : mise à l’eau de Sterenn à Lorient, Cité Eric Tabarly (La Base).
Mercredi 27 Juin : encore une journée bien remplie, consacrée à l’armement, aux essais et réglages, à l’avitaillement.
Jeudi 28 Juin à 6h45 du matin : départ de Lorient en direction d’Audierne, puis de l’île de Sein.
Clin d’œil à l’A.P.M. ! Nous avons navigué avec le magnifique génois gagné à Lézardrieux l’an dernier, lors du National Muscadet 2017 : efficacité parfaite et bien meilleur équilibre du bateau qu’avec l’ancienne voile qui était très, très fatiguée ! Cela nous a redonné le moral et augure d’une belle traversée du Golfe de Gascogne.
Vendredi 29 Juin : arrivée de Sterenn à Sein, au soir, après quelques travaux d’électricité et d’électronique au mouillage à Saint Evette.

Vendredi 13 Juillet : le magnifique concert donné en l’église St Guénolé de Sein par Michel Devillers, saxophoniste (“ministe” en 1977), avec Francis Debieuvre (association Hisse et Aime) au chant et à la guitare, nous plonge dans le départ du pèlerinage : Une Transat pour la Paix – Un Arbre pour la Liberté.
Samedi 14 Juillet : concert de Francis Debieuvre sur le quai à l’île de Sein et conférence-rencontre à l’Abri du marin, animée par Michel Devillers et frère Abel, sur le thème de leur expérience en mer.
Pascal, juillet 2018, à quelques semaines de l’appareillage :
Bientôt le grand départ !
La préparation du bateau : vérification des boulons de quille, renforcement des plats-bords et de quelques éléments de structure, mise en œuvre d’une porte de roof étanche et protection des hublots, augmentation de l’évacuation du cockpit…, tout cela laisse présager d’une navigation difficile.
Comment sera l’état de la mer, notamment pendant la traversée du golfe de Gascogne ? J’ai lu quelques articles à ce sujet mais cela reste de l’ordre de l’imaginaire et du rêve, je n’ai jamais navigué en haute mer, seulement en Bretagne nord et sud, près de la côte et aux Scilly.
L’angoisse et la peur sont bien présentes, j’ai une appréhension de mort imminente : “je ne vais pas revenir sain et sauf de ce périple”. Angoisse renforcée par la peur de mes enfants qui tentent de me dissuader de partir. De fait, je me vois tout mettre en œuvre pour ne pas embarquer, en retardant les travaux de préparation, en cherchant à être mécontent pour justifier cette peur viscérale.
Malgré cela, je sais qu’au fond de moi ce pèlerinage initiatique est important pour moi, voire vital.
Fabien, à quelques jours du départ :
Frère Abel et Pascal se préparent à partir.
Et moi ?
J’y vais ? J’y vais pas ?
Je suis censé prendre la relève aux Canaries et Pascal reviendra en avion en France (pour son travail) en septembre.
Cela fait des semaines et des mois que la question revient en boucle, le jour, la nuit.
J’ai peur de mourir tout comme j’ai peur de vivre. Que je parte ou non, j’ai peur de perdre ma vie !
Me voici plongé dans une angoisse depuis que le projet se précise et maintenant que l’embarquement de Pascal approche, je me sens au pied du mur !
Ai-je la capacité morale et physique pour tenir la distance ?
Depuis plusieurs mois, je vois que je peine à chaque effort, le souffle court ; une grande fatigue s’est installée. Est-ce le contre coup de la retraite ? J’ai arrêté mon activité de dentiste il y a quelques mois, ayant atteint l’âge “vénérable” de 66 ans.
J’ai peur de la traversée, j’ai peur de mourir et je n’ose pas en parler à Abel.
Si le bateau chavire, chargé comme il est, même s’il est en bois, j’ai l’impression qu’il risque de couler ; nous n’aurons probablement pas le temps de préparer le canot de survie !
Je garde tout cela pour moi et je continue à angoisser…
J’ai plein de questions aussi sur la suite de ma vie et la peur de ce qui viendra après. En même temps, je sens profondément que cette “aventure” peut décider du sens que prendra cette nouvelle étape de ma vie, et une petite voix intérieure me répète : “Tu verras, cela ne va pas être facile mais tu iras mieux après.”
Alors, j’y vais ! J’y vais malgré la peur, mon tout petit oui, l’angoisse, la fatigue.
La première étape, de l’île de Sein au Cap Finisterre (Espagne), est de 360 milles nautiques. Avec une vitesse de 3 nœuds + 1/2 nœud de courant qui porte au Sud (1 nœud = 1 mille nautique par heure ; 1 mille nœud = 1,852 m.), arrivée estimée le 7 août, soit 4/5 jours de navigation.
Les vents de Nord-Nord-Est sont favorables et établis sur plusieurs jours pour traverser le Golfe de Gascogne dans de très bonnes conditions.
La deuxième étape possible, du Cap Finisterre à l’île de Porto Santo (au Nord de Madère), est de 660 milles nautiques, arrivée estimée vers le 14-15 Août, soit 7/8 jours de navigation.
Si l’anticyclone des Açores est stable et le temps beau, ainsi que nous l’espérons, Sterenn pourra longer la côte avec possibilités d’escales de quelques jours à Peniche (au Nord de Lisbonne) et à Essaouira (Maroc). Si la météo est moins bonne, il sera préférable de s’éloigner des côtes portugaise et marocaine, et de faire une route plus directe.
Fin Août : arrivée à l’île de La Graciosa (Canaries), au Nord-Ouest de Lanzarote.
Septembre : navigation aux Canaries, autour des îles (Graciosa, Lanzarote, Fuerteventura). Relève d’équipage : Fabien remplacera Pascal.
Octobre et début Novembre : navigation le long de la côte Ouest de l’Afrique avec escales en Mauritanie, au Sénégal (Dakar et la Casamance), peut-être en Guinée, et escale possible aux îles du Cap-Vert. Dimanche 11 Novembre 2018 : appareillage de Sterenn pour les Antilles.
Décembre : arrivée en Guadeloupe, puis navigation en dehors de la saison des cyclones, chaque hiver, dans les Petites Antilles, avec relèves d’équipage.
Dimanche 29 Juillet : après le coup de vent du jour et l’amélioration des conditions météo qui suivent, frère Abel et Pascal prévoient d’appareiller de l’île de Sein, le jeudi 2 août, à 8h du matin car les vents de Nord-Nord-Est sont favorables et établis sur plusieurs jours.
Mercredi 1er Août : Francis et Lisa, jeune “workawayeuse” italienne qui nous a rejoints à Sein, participent aux ultimes préparatifs et au départ avec l’embarquement de l’avitaillement et des derniers bagages, à marée basse et à pieds secs ! Puis dernier verre à l’échouage avant le départ, devant le quai Sud de l’île de Sein.
Vers 18h, Sterenn regagne son mouillage en eaux profondes pour pouvoir partir dès 8h, une heure avant marée haute.
Jeudi 2 Août à 7h40 du matin
Le « fan club » s’est levé à 6h45 pour voir partir Sterenn et son équipage et les accompagner en musique.

Comme le veut la tradition pour un départ d’un long périple, plusieurs bateaux sénans accompagnent Sterenn à grands coups de corne, et l’un d’eux offre même le champagne aux navigateurs ! Merci Catherine, Jacques et Jean-Louis !
Le Muscadet et son équipage, frère Abel et Pascal, appareillent à 8h comme prévu, après avoir passé une dernière nuit au calme dans l’arrière-port de l’île de Sein.
Départ pour la traversée “île de Sein – Canaries”.

Pascal :
C’est parti ! Tous nos amis nous saluent du quai et Yann Le Bihan nous accompagne avec son canot’ durant quelques miles. C’est à ce moment-là que je commence à réaliser que je suis embarqué pour une aventure hors du commun et qu’il n’y a plus de retour possible. L’angoisse et la peur me tenaillent, mais j’essaie de faire confiance au capitaine qui a pas mal de traversées de l’Atlantique à son actif.
Du lundi 6 au vendredi 10 Août .
Bref compte-rendu par téléphone de la traversée du Golfe de Gascogne :
Tout va bien à bord mais l’équipage a tout de même été secoué par moments dans la traversée du Golfe de Gascogne ! En effet, le vent était assez irrégulier avec des moments sans vent et d’autres où le vent augmentait rapidement.
A un moment fort, Pascal a “valsé” d’une couchette à l’autre et l’extincteur a amorti la chute ! Heureusement, plus de peur que de mal… mais vu la force du choc sur l’extincteur, l’équipage a conclu que Pascal a vraiment la tête dure ! Il a été promu, à l’unanimité du jury, “Pen Kaled” d’honneur (marin breton pur et dur).

En arrivant vers la Galice, le vent est tombé.
Après deux jours avec très peu de vent, de la brume et beaucoup de bateaux et cargos, Sterenn et son équipage font halte à Camarinas en Espagne.
Repos, tapas et “cervezas” sont bienvenus.
Frère Abel et Pascal rencontrent Gérard, un sympathique marin de La Trinité-sur-Mer, qui a envoyé la photo ci-contre et les baptise : les irréductibles Bretons !
Pour des raisons météo, l’équipage a l’obligation d’appareiller le vendredi 10 Août, cap au Sud.
Du samedi 18 au vendredi 24 Août.
Après avoir hésité à faire escale à Peniche (Portugal), Sterenn continue sa route vers le Sud, continuant à bénéficier de vents de Nord ou Nord-Est entre 15 et 20 nœuds.

Samedi 18 : Sterenn et son équipage arrivent en début d’après-midi à Essaouira au Maroc, ayant réalisé une bonne vitesse moyenne d’environ 4 nœuds sur l’ensemble du parcours, malgré une grosse houle certains jours.
Dimanche 19 : après deux nuits passées au port, au milieu des bateaux de pêche et du bruit, et après avoir changé de place, l’équipage décide de quitter le port et de mouiller sur la plage.
Les premiers allers-retours se font à la nage car il vaut mieux ne pas laisser l’annexe gonflable sur la plage toute la journée au soleil.

Le projet est d’aller à la Médina…
Frère Abel et Pascal vont tout d’abord se recueillir dans le quartier juif, à la Synagogue. Pour Pascal, c’est une première.
Ensuite, frère Abel cherche à entrer dans une mosquée pour remercier ce même Dieu, au nom duquel nous nous étripons gaillardement depuis des siècles.
La plus grande fête musulmane de l’année, l’Aïd al-Adha (la Fête du Sacrifice) commence le mercredi 22 août. Frère Abel et Pascal aimeraient beaucoup se rendre à la prière de la Grande Mosquée, qui ouvre cette fête, non en touristes mais en frères qui respectent l’Islam.
Le monde a besoin de tolérance et la plupart des musulmans, des juifs et des chrétiens ne sont pas des fanatiques, loin de là.



Nous sommes invités par une famille marocaine à nous purifier et à prier à la mosquée en tant que bons musulmans. Cela nous convient parfaitement.
En rappel du sacrifice d’Ismaël par son père Ibrahim et de l’intervention du messager qui a proposé un bélier pour éviter ce sacrifice humain, nous partageons le repas de la famille pendant presque une semaine (il faut bien partager le mouton jusqu’au bout !). C’est un moment très fort pour Pascal. Nous garderons toute notre vie Khaled, Fatimzahra et leurs enfants Salmane et Zahra, dans notre cœur.

Peut-être aurons-nous un jour la joie d’accueillir Salmane (8 ans) pour l’aider à accéder à des études supérieures en France.
Au bout de 2 jours, nous sommes connus de toute la population musulmane de la Médina qui vient à la rencontre des deux « marins musulmans bien qu’étrangers ».
Nous avons apprécié la fraternité et la ferveur qui règnent en cette cité. Nous y reviendrons.
Vendredi 24 : Frère Abel et Pascal font à nouveau une entorse à la tradition qui veut qu’on n’appareille pas pour un grand voyage un vendredi. Leur bateau est minuscule et ils doivent profiter de toutes les fenêtres météo favorables à leur périple. Ils prévoient 2-3 jours de navigation pour gagner les Canaries. Il est prévu un vent de N-NE à N-NO : 20 à 25 nœuds !, puis 18 nœuds en arrivant sur les îles.
Bon vent et bonne navigation !
Le 20 mars 2019, témoignage de Pascal, charpentier de marine et psychologue

L’un de nous deux, le jour comme la nuit, est toujours dehors dans le cockpit (la « baignoire », comme l’appelaient les anciens), « de quart » comme on dit. C’est qu’un bateau est aveugle et si nous ne voulons pas être abordés par un cargo, cette précaution est indispensable.
Le temps chronologique s’estompe pour laisser la place à l’espace, immense. La mer se confond avec le ciel, il n’y a plus que l’espace jour et l’espace nuit, avec ou sans soleil, avec ou sans étoiles. Les pensées et la cogitation permanentes laissent la place à la contemplation, à l’émerveillement. Ça ne dure pas, malheureusement ! : Il y a ce petit diable qui pointe le bout de son nez, dès qu’il y a la moindre brèche, il s’appelle “procrastination” (le fait de remettre toujours à plus tard).
Au cours de ce périple, j’ai pu prendre conscience que le moindre laxisme, la moindre inattention se payent comptant et sont tout de suite sanctionnés par une maladresse qui peut mettre en danger le bateau et l’équipage. J’ai vécu ces situations beaucoup plus fortement et intensément qu’à terre. En mer, c’est plus exigeant, les habitudes et la tranquillité se soldent toujours par un incident voire un accident. On dit qu’en mer les ennuis ne s’ajoutent pas mais se multiplient. J’ai pu le constater.
D’où, souvent mon angoisse dès qu’approchait la nuit par exemple. Tous les jours, en fin de journée, le vent forcissait et la mer se creusait. La peur m’envahissait, elle montait crescendo. Une peur viscérale, bien enfouie, que je n’avais jamais touchée jusqu’alors. La peur de laisser ma peau au milieu de cet océan sans fin, où il n’y a plus de repères rassurants.
Tous les soirs, nous réduisions la toile pour aborder la nuit plus sereinement et maintenir ainsi une certaine sécurité. C’était sportif ! : Avec du vent souvent établi entre 15 et 20 nœuds et parfois une mer qui grossissait avec des creux allant jusqu’à 4 mètres, en vent arrière ou grand largue. Là, il faut être présent, se mettre en sécurité, une main pour le bonhomme et l’autre pour la manœuvre et le bateau. Il est strictement interdit de tomber par-dessus bord sous génois réduit et tangonné (pour le laisser grand ouvert), même équipé d’une brassière accrochée à la ligne de vie. Le temps de mettre en route la manœuvre de “l’homme à la mer”, même si l’homme de barre est compétent et vigilant, à une vitesse de 5 à 6 nœuds, vous êtes perdu de vue très rapidement et quasiment irrécupérable. Pas le droit à l’erreur !
J’ai connu une ou deux situations limites… Malgré cela, je me suis toujours senti protégé, accompagné par frère Abel qui est un vieux loup de mer. J’ai eu le “loisir” de l’observer, dans ses gestes, dans ses actes qui étaient toujours calmes, réfléchis, posés, précis…
Cette Présence est indispensable, notamment quand la fatigue est là, voire l’épuisement suite à des jours sans sommeil réparateur. Il est alors impossible de manger un morceau tant les nausées prennent le dessus, seul un verre d’eau est salvateur. Tout peut devenir lourd, contraignant jusqu’à ce que je baisse les bras, et là, le petit démon revient au grand galop : cette procrastination terrible, aliénante et dangereuse pour les conséquences qu’elle engendre. Il est vital de la conscientiser dans son corps et de ne pas la laisser s’installer.
Elle a failli me coûter la vie, lors d’une prise de quart, un matin à 5 heures. On s’était fait secouer toute la journée et la nuit précédentes, je n’étais pas encore complètement amariné, je cogitais et la peur était prépondérante, ça tapait fort à l’intérieur du canot, à tout rompre. Au moment d’enfiler ma brassière, mes mains étant occupées, le bateau a fait une embardée et s’est couché, j’ai été projeté comme une pierre (de 70 kg) propulsée par un lance-pierre, dans l’équipet bâbord d’en face. Au passage ma tête a arraché l’extincteur et son support, le choc fut terrible. Je visualisais toutes les séquences, comme au ralenti, je me suis vu m’écraser le visage dans la cloison bois avec un bruit de craquement. Je me suis relevé, je saignais et je me suis dit que dans les secondes qui suivaient, j’allais mourir, que tout était fini. Ma tête a alors émergé dans le cockpit et regardé frère Abel, j’attendais son diagnostic.
Je crois que ce qui a amené tout cet enchaînement, qui aurait pu être dramatique, c’est surtout l’indignité. Le fait de ne pas être satisfait de soi, de se mésestimer, de se dévaloriser. A bord d’un bateau, d’autant plus quand il est minuscule, il n’y a plus d’espace pour ces sentiments égoïstes et ces émotions mal vécues ou refrénées.
La navigation propose, permet de dépasser ses névroses bien ancrées. Il y a alors la possibilité pour l’inconscient de laisser sa place à l’Un-conscient. La mer et la navigation proposent la réalisation de cette transcendance. Il n’y a alors plus d’insatisfaction qui génère les désirs névrotiques. Une satisfaction peut naître semble t’il, qui amènerait un Désir de toujours plus collaborer avec la Vie.
Je ne pense pas en être à ce stade et il me semble qu’il n’est pas possible d’accéder à cet état seulement par ma propre volonté personnelle.
Malgré tout, je me rends compte que j’ai vécu de belles choses :

- Le salut d’un cachalot sur notre avant bâbord.
- L’accompagnement de centaines de dauphins.
- Des nuits magnifiquement étoilées.
- La relation à l’Espace tout entier, ne faisant qu’Un.
- Cette baleine énorme, de plusieurs tonnes, qui sonde devant l’étrave.
- L’atterrissage à Essaouira, les déferlantes qui s’écroulent dans un grondement d’orage sur les vieux remparts. La rencontre avec nos frères musulmans.
- Les îles enchantées des Canaries et leurs volcans.
- Toutes les rencontres de personnes extraordinaires…
Voilà tout ce que j’ai vécu au cours de cette Mini-Transat pour la Paix, hors du commun. Suis-je le même homme aujourd’hui, après cette aventure extraordinaire ? J’ai pourtant essayé par tous les moyens de ne pas la vivre. J’ai lutté pour ne pas embarquer à Sein. J’aurais encore raté l’occasion d’être heureux !
Ce périple n’était pas une simple croisière hauturière mais une Initiation, une initiation à devenir un homme libre.
Merci la Vie.
Dimanche 26 Août : Arrivée sur l’île de la Graciosa.




Vendredi 31 Août :
Ça y est ! Fabien a rejoint Sterenn, comme prévu, pour la deuxième partie du périple.
Pascal est venu l’attendre à l’aéroport. Ils ont fait quelques courses à Arrecife : accastillage, matériel de plongée, de pêche et autres effets personnels, avant de prendre le bus en direction d’Orzola, puis la navette (bateau) de Orzola vers l’île de La Graciosa.
Ils ont retrouvé frère Abel et Sterenn mouillé à Playa Francesa, au Sud de Caleta del Sebo.
Mardi 4 Septembre : L’équipage rince les voiles et répare le nouveau génois qui était déchiré en 4 endroits. Pascal bricole tranquillement sur le bateau, et frère Abel fait de la couture : réparation de la housse de génois déchirée par les mousquetons du solent. A part ça, pas d’incident technique notable au cours de la navigation.
Grand Merci à Roland pour la réservation de la pension Girasol, à Caleta del Sebo, simple mais très bien située sur le port ; cela permet à frère Abel, Pascal et Fabien d’y prendre une douche, de faire la sieste, d’y dormir à tour de rôle, et surtout de faire des lessives et nettoyages en tous genres. A pied, jusqu’à Playa Francesa, il y a 3/4 d’heure de piste sablonneuse, pour celui qui dort à bord de Sterenn, et arrive ou repart souvent chargé de matériel.
Jeudi 6 : Adrienne, épouse de frère Abel, et Françoise T. (association Hisse et Aime) viennent rejoindre les navigateurs pour quinze à vingt jours. Sterenn va probablement mouiller au ponton, ou dans la petite anse, juste au Nord du port, en accord avec le « seῆor oficial » Hernandez, le capitaine du port, dès qu’il sera trouvé ! Pour l’avitaillement, c’est nécessaire.



Lundi 10 : Après 15 jours à Playa Francesa, le séjour à la Graciosa doit prendre fin faute de trouver une location et pour éviter à Françoise E. qui arrive le 12 de dormir sous tente !
Mercredi 12 Septembre : La Punta de Papagayo et ses plages offrant de belles possibilités de mouillage, les navigateurs opte pour migrer vers le Sud de Lanzarote, où ils ont réservé un « mobil home » surprise pour les pèlerins de passage. Pascal navigue ainsi une dernière journée sur Sterenn. L’équipage part vers 9h, avec peu de vent (7-8kts) et un moteur qui ne démarre pas et arrive à la nuit tombante, après un bon coup de vent à la pointe Sud-Ouest de Lanzarote, au mouillage prévu entre le port de Playa Blanca et la marina Rubicon.
Jeudi 13 : Quelque peu dans l’expectative quant au programme, Adrienne et Françoise T. quittent la Graciosa pour récupérer Françoise E. à Arrecife, le matin, et rejoindre le reste de l’équipage dans l’après-midi, à Playa Blanca, attendant les instructions pour la suite de l’aventure. Les supputations vont bon train, mais aucune d’elles n’imaginent le projet !
De leur côté, frère Abel, Pascal et Fabien récupèrent les clefs du « 50 pieds » réservé dans le port de la Marina Rubicon ! Un hébergement sur un bateau, n’est-ce pas une manière de participer à la Transat pour la Paix ?

Sur le ponton et même devant le bateau, c’est l’incertitude ; lorsque tous embarquent, il y a un moment intense. Passé la surprise, personne n’est déçu. Un bateau de 50 pieds, ça fait quand même environ 17m, avec tout le confort, même le grille-pain !

Vendredi 14 : Adrienne et les 2 Françoises se posent dans une ambiance nautique, après une après-midi à la “Feria Artisanale” du village de Tinajo, dans l’intérieur du pays.
Pascal prend le bus pour Arrecife en fin d’après-midi, après avoir passé 1 mois et demi à bord. Il rentre sur Paris demain soir, puis direction la Bretagne.
Bonne reprise, Pascal !


L’île de Lanzarote est superbe : une île sauvage, volcanique, authentique, où l’on ressent le chaos primordial et l’origine de la vie. Fabuleux !
Temps très beau et chaud. L’équipage est à la marina Rubicon (Sud de l’île) et Sterenn est mouillé à l’extérieur du port.
Dans quelques jours, Sterenn viendra au ponton de la marina pour l’avitaillement, avant de partir pour Gran Tarajal, sur la côte Est de l’île de Fuerteventura.
Samedi 15 : Ce soir, Fabien est retourné au bateau à la nage en laissant le reste de l’équipage dans leurs quartiers d’été.
A la Graciosa, c’est souvent Pascal qui faisait le trajet à pied et à la nage (pour ne pas laisser l’annexe toute la journée sur la plage). Depuis son départ, j’ai pris le relais, sauf qu’il n’y a quasiment pas de marche à pied puisque le bateau est mouillé juste dans l’anse à l’entrée du port.
Mercredi 19 : Jorge Juan est le frère d’Antonio que Françoise T. et son mari connaissent depuis longtemps. Il tient un excellent restaurant en bord de mer, le “Marejada”, à El Golfo, juste au Nord des Salines de Janubio (excellents sel de mer et fleur de sel).
Jorge Juan invite les navigateurs-pèlerins chez lui, après son service, avec Adriana, sa compagne colombienne. La soirée se passe autour d’un bon verre de “vino tinto” accompagné du chant de Jorge


Samedi 22 : Aller-retour au bateau pour charger les batteries et préparer la GV en prévision d’un départ dans quelques jours.
Dimanche 23 : Avec Jorge, escalade en fin d’après-midi de la Montana Roja, le volcan tout proche.
Prochaine étape prévue sur l’île de Fuerteventura (côte Est), à Gran Tarajal.
Jeudi 27 Septembre : Départ à 8h de Playa Blanca (Lanzarote) pour une halte plus au Sud, à Gran Tarajal, sur la côte Est de l’île de Fuerteventura.
Fabien :
C’est mon tour, à moi l’Afrique Noire et l’Atlantique. D’abord une petite navigation de 45 nautiques (90 km environ) pour me mettre en jambes. Le vent est faible et changeant, je stresse parce que je n’arrive pas à régler correctement le régulateur d’allure. Le moteur finit tout de même par démarrer mais il cale au bout d’une heure et ne redémarre plus malgré plusieurs démontages, nettoyages et changements de bougie ! Je stresse de plus en plus. Le vent tombe encore puis revient en rafales et là, je panique, je perds mes moyens en essayant de prendre rapidement un ris…
Journée dense de 10h de navigation avec pas mal de vent au départ : 12 puis 15 nœuds de vent, ensuite pétole pendant 3h, puis 18 à 20 nœuds, et pour finir 6 nœuds avec une arrivée à la nuit tombée. Le vent du Nord se met à l’Est, d’où le mouillage n’est plus assez abrité et l’équipage passe une nuit mouvementée.



Vendredi 28 : Le village de Gran Tarajal est plein de fresques sur les maisons. C’est moins touristique que Playa Blanca (Lanzarote) et donc un peu plus authentique. Frère Abel et Fabien passent la journée à essayer de démarrer le moteur qui fait des siennes depuis quelque temps, à ranger et nettoyer le bateau, et sécher l’annexe.
Vers 14h, le vent forcissant (20 nœuds avec rafales à 25-28), Sterenn et son équipage changent de mouillage, toujours sans moteur. Après avoir fait tout le tour du cadran, le vent se remet au Nord et le calme revient.
Dimanche 30 Septembre : Départ à 9h françaises pour la Mauritanie. Tout va bien à bord.
Fabien, entre les Canaries et la Mauritanie :
Latitude 26° 03′ Nord – Longitude 16° 34′ Ouest
Histoire de manilles et de manies…
Le capitaine est à la barre. Il propose de remplacer une manille de la ligne de vie, dans le cockpit : elle est en galva, trop grosse, tape contre le bois du plat-bord et rouille. Je pars vers la couchette avant du bateau et déplace une bonne partie du matériel pour atteindre la caisse d’accastillage. Je trouve une manille, je remets le matériel en place, remonte dans le cockpit et je remplace la manille.
Comme je n’avais rien vu, (étant en apprentissage du métier de chef de bord, c’est moi qui aurais dû voir que cette manille était à remplacer), le capitaine me dit : “la manille de la balancine serait à changer aussi, mais cela peut être fait demain”.
Là, je me questionne : “Qu’est-ce que je fais ? Est-ce un test ?”
Alors me voilà reparti vers la couchette avant, je re-déplace tout le matériel. Je mets la main sur la caisse d’accastillage, je trouve la manille qui va bien et je remets le matériel en place.
Arrivé à l’arrière de la bôme, je me dis qu’il me faudrait peut-être un démanilleur. Effectivement, le manillon est trop serré. Je repars donc chercher le démanilleur qui heureusement est dans mon équipet, je reviens et commence l’opération. Je défais l’ancienne manille et suis prêt à mettre la nouvelle quand… stressé, le manillon m’échappe… et tombe à l’eau !
Et si au lieu de la manille, la prochaine fois, c’était le bonhomme qui tombait à l’eau ?
Je me sens vraiment comme un cornichon : un maladroit, pas content de lui ! Et je retourne vers la couchette avant pour de nouveau tout déplacer et trouver une autre manille.
Sur ce petit bateau, je suis face à moi-même et je réalise qu’à chaque fois que l’émotion monte, je la bloque en me réfugiant derrières mes manies : je me précipite, j’agis sans réfléchir et là je fais n’importe quoi.
Déjà, il y a 40 ans, le Front Polisario avait créé tout un réseau de pirates avec zodiac 1/2 rigide, moteur puissant et rapide, et mitrailleuse. Le jeu consistait à intercepter, au large du Cap Blanc, les bateaux de passage (cargos, pétroliers et plaisanciers), tuer tout le monde à bord afin qu’il n’y ait pas de témoins, puis couler le bateau. Aujourd’hui, les pirates sont plus organisés, aussi la marine nationale française a mis en place un dispositif anti-pirates. Malgré tout, ne soyez pas étonnés de ne plus voir Sterenn sur votre ordinateur un peu avant l’arrivée au Cap Blanc, c’est une mesure de sécurité.
POUR INFO,LA BALISE RESTERA MUETTE A L’APPROCHE DE LA MAURITANIE
Traversée Fuerteventura – Nouakchott. Avec des vents arrière ou grand largue, donc N ou NE, sous Génois, les jours se suivent au même rythme : 9h du matin, bilan de la navigation des dernières 24h, comparaison de l’estime et du point GPS, et recalage de la route pour la journée.
Nous restons éloignés des côtes du Sahara Occidental et de la Mauritanie, de 80Mn. A hauteur du Cap Blanc, nous mettons le cap sur Nouakchott, au 140°. Toutes les navigations de nuit se font sans feux, en utilisant au minimum nos ressources électriques.
Samedi 6 Octobre : Danger pirates théoriquement écarté. Sterenn et son équipage recommencent à émettre leur position. Tout va bien à bord.
Fabien, proche du Cap Blanc :
Latitude19° 19,9’ Nord – Longitude 17° 13,3’ Ouest.
La côte mauritanienne est sur notre Est, à vol d’oiseau à environ 40 nautiques, c’est alors que je vois deux papillons roses envoyés jusqu’à nous par le vent du Nord. S’ils suivent leur instinct et veulent gagner la côte au plus court, ce sera un trop grand effort pour leurs petites ailes. Les papillons font preuve de sagesse et dès qu’ils sont fatigués, ils se posent sur une voile ferlée et s’accrochent au bateau : ils font confiance au capitaine. Je me dis que s’ils continuent à choisir la confiance, ils seront à Nouakchott demain. Cela représente une belle escapade de 100 miles nautiques (200 km environ) ; pas mal pour des papillons !
Vraiment, je me sens bête ! J’ai si peur que je continue à vouloir tout gérer par moi-même.
Moi qui suis un homme intelligent, oserais-je un jour, comme le font ces papillons, faire le choix de la confiance ?
Lundi 8 Octobre : Pour boucler le périple vers Nouakchott, nous avons 2 jours de vent faible et pétole : le premier jour, le moteur ne démarre pas, mais le deuxième, après plusieurs tentatives, il finit par tourner, et nous arrivons de nuit, au mouillage sur la plage à côté du port de l’Amitié.
Mardi 9 Octobre : Après une nuit mouvementée au mouillage, n’ayant pas dormi à cause de la houle, des rouleaux et du ressac sur la plage, nous décidons d’entrer dans le port. Le port de l’Amitié est un port minéralier pour gros cargos et porte-conteneurs ; il n’est accessible ni aux pêcheurs, ni aux plaisanciers. Mais nous sommes en panne de moteur et, depuis deux jours, le panneau solaire ne charge plus ; nous ne pouvons plus utiliser ni feux, ni GPS car les batteries sont vides.
Branle-bas de combat à 7h du matin : appel à la VHF sur le canal 16, pour signaler que nous sommes en difficulté : Sécurité Sécurité Sécurité… en français.
Nous appareillons sous voile en attendant une réponse de la Sécurité ou de la Capitainerie du port : rien !
Après une demi-heure, nous apercevons une embarcation de la Marine Nationale qui vient vers nous. L’officier nous demande si nous avons le droit d’être là, puis nos papiers et les papiers du bateau, enfin il propose de nous remorquer à couple sans pare-battage, juste un vieux pneu pour amortir les chocs. Nous refusons de lui communiquer nos papiers ainsi que son assistance en lui faisant comprendre que nous allons au port à la voile.
Finalement, la Capitainerie nous donne l’autorisation d’entrer et nous transmettons l’accord au bateau qui nous accompagne. Nous entrons dans le port, au milieu de pélicans et de poissons morts : ça empeste ! La Capitainerie nous demande de mouiller là où ça ne gêne pas les autres bateaux, sans préciser où.
Après avoir mouillé, le comité d’accueil revient nous redemander nos papiers. Heureusement pour nous, le français est seconde langue officielle en Mauritanie et nous arrivons à nous expliquer.
Dans l’après-midi, Ali (électricien) et Mohammed (motoriste) viennent nous aider : le régulateur du panneau solaire est défectueux (c’est trouvable sur le marché local), et pour le moteur, frère Abel n’est pas chaud pour le descendre à terre.
Nous passons notre première nuit au port, entourés de poissons morts. Une ambiance à vous mettre le bourdon !
Mercredi 10 Octobre :Ali débarque le moteur qui est de retour dans l’après-midi et semble fonctionner. Le régulateur du panneau solaire est remplacé par un plus puissant. Les batteries chargent, tout va bien. Nous prévoyons de partir dès le lendemain matin pour le Sénégal. Ali et Mohammed nous invitent à venir déguster chez eux un Thiéboudienne, plat traditionnel mauritanien mais nous craignons l’incident diplomatique en débarquant. Finalement, c’est un ami sénan de frère Abel qui vient nous chercher pour faire quelques achats et dîner chez lui. Son épouse nous a préparé un repas délicieux ; quel bonheur après 10 jours en mer !

Nouakchott : 1,4 millions d’habitants, une ville étendue sur plus de 40km, beaucoup de taudis et de bidonvilles, pas d’infrastructures routières, la route est un danger de tous les instants, les animaux (chèvres, moutons, ânes) sont nourris avec du carton.
Les Chinois sont très présents et ont trouvé que les os d’âne étaient aphrodisiaques. Les ânes qui assuraient une petite activité et une subsistance à une partie défavorisée de la population, sont en voie de disparition.
L’islamisation radicale, la précarité croissante, le manque de ressources, la corruption, mettent le pays en grande souffrance.
Dans les ports des Canaries, les rumeurs vont bon train et on parlait beaucoup de piraterie sur les côtes d’Afrique. En fait, nous l’apprenons ce soir-là, il n’y a pas eu d’attaque de plaisanciers depuis plusieurs années sur les côtes de Mauritanie.
Jeudi 11 :Nous partons le matin à 10h françaises, direction Dakar, et prévoyons de mouiller au sud de l’île de Ngor, peut-être.
Dimanche 14 Octobre : Les navigateurs sont à Dakar, chez Stéphane, un Français chez qui ils sont invités à rester quelques nuits pour se refaire une santé. Sterenn est au mouillage sur la plage devant sa maison.


Stéphane est responsable, entre autres, de travaux portuaires. Il est à Dakar pour proposer au gouvernement des travaux de dépollution. Plus encore qu’au port de Nouakchott, la pollution est maximale ici : plage couverte d’immondices et de sacs poubelle, pas de pêche possible (sauf des plastiques), et surtout pas de baignade (eau infectée).
Les Sénégalais sont très chaleureux, dans ce quartier de pêcheurs, plein de pirogues magnifiquement décorées.



Mardi 16 : Rencontre avec Pierre Van Damme, ingénieur agronome et responsable de la ferme de l’artemisia à Tivaouane, au Nord de Dakar.

Mercredi 17 : L’après-midi, l’équipage charge l’avitaillement sur Sterenn et va dormir à bord pour quitter Dakar le lendemain.
Jeudi 18 : Départ le matin vers la Casamance, au sud du Sénégal, avec une escale à MBour, au Sud de Dakar. Sterenn mouille le soir à Sali-Pordudal, réservé à des bateaux qui ont très peu de tirant d’eau. Le Président du Sénégal est présent ce jour-là pour poser la première pierre du futur port de plaisance de Sali.
Frère Abel et Fabien continuent leur pérégrination vers la Casamance quand, au large de la côte de Gambie, ils sont abordés brutalement par une lourde pirogue de 6 tonnes, équipée d’un gros moteur hors-bord. Les deux hommes qui sont à bord les prennent à l’abordage et abîment tout le flanc tribord de leur bateau, faute de pneus pour se mettre bord à bord.
Give me water ! demande l’un d’eux à frère Abel, de manière véhémente.
A ce moment-là, Fabien passe sa tête à la sortie du roof et les deux hommes découvrent qu’ils ont affaire à au moins deux personnes dont une est peut-être armée. Fabien, heureusement, n’a pas montré ses mains !
Frère Abel les traite de tous les noms d’oiseaux et largue les amarres jetées sur le pont lors de l’abordage. Les deux marins disparaissent sans demander leur reste.
Cet épisode qui a duré 20 secondes, a été le moment le plus chaud de toute la traversée !


Dimanche 21 Octobre : Après une navigation de 2 jours sans beaucoup de vent et sans moteur, arrivée à l’aube en Casamance.
Superbe moment, ambiance du lever du jour extraordinaire ; ça change de la ville et de la pollution !
Nous embouquons la rivière Casamance. Nous passons les bancs de sable de l’entrée, à la voile (GV + Génois), le moteur ne fonctionnant toujours pas, puis bifurquons vers la droite, dans le bôlon de Kachouane, pour passer au Sud de l’île de Karabane. Nous arrivons au « Campement Sounka », chez Papis dont nous avons entendu parler au Centre de Voile de Dakar.
Superbe accueil !

A Kachouane, nous partageons la vie d’une communauté Diola où Musulmans et Chrétiens vivent dans le respect et s’entraident mutuellement. C’est un vrai bonheur. Ici, chacun est curieux de l’autre ; la rencontre, l’échange, la discussion, constituent la priorité pour une vie heureuse.

Lundi 22 : Issa, un Musulman, qui vient de perdre son grand frère de 63 ans, propose de débarquer le moteur pour l’emmener avec son bateau dans le village voisin d’Elinkine, chez un de ses amis, un mécanicien qui entretient tous les moteurs des bateaux des pêcheurs. Et cette fois, cela marche ! Il en aura coûté 8 fois moins cher qu’en Mauritanie (10.000 FCFA, soit environ 15 Euros).

Bijou et Titina préparent de délicieux plats locaux (poulet Yassa “bicyclette” : qui a beaucoup couru !) qu’ils partagent, accompagnés d’une bouteille de Côtes du Rhône offerte par Marie-Claude, une Bretonne très sympa, qui tient le restaurant au Centre de Voile de Dakar.

Sterenn est mouillé devant le campement et à marée basse, l’équipage en profite pour faire le carénage.
Mardi 23 : Nous emmènerons Bijou pour une petite navigation à la voile entre les services du déjeuner et du dîner, s’il y a du vent !, ce qui n’est pas le cas au lever du jour.
Lindo, le sculpteur, que nous allons voir dans sa case et qui fait un magnifique travail, nous permet de rencontrer Dam, l’infirmier bénévole du village. Nous allons le voir pour lui offrir les deux plants d’artemisia que nous avait donnés Pierre, l’ingénieur agronome, à Tivaouane. Dam nous emmène visiter son jardin, ses rizières et sa case d’infirmier gouvernemental ; il nous parle des arbres et plantes médicinales dont l’utilisation lui a été enseignée par son père et son grand-père qui avaient la même fonction que lui.
Après ce bel échange, nous allons à l’école du village où nous sommes invités par le directeur à assister à une leçon de mathématiques donnée à des élèves en CE1. C’est passionnant !
Il y a ici la tradition du « bol » (riz, poisson, sauce aux oignons).
Toute personne, qui arrive à l’heure du repas, s’installe à la table et mange autour d’une bassine unique, avec sa main droite, comme tout le monde. C’est un pays civilisé ici. Si tu es riche, tu ne meurs pas d’ennui et si tu es pauvre, tu ne meurs pas de faim.
“Kindin-kandan” comme l’on dit ici : “A Votre Santé !”


nous offrons des “gazelles”, la bière locale.
Mercredi 24 : En allant laver leur linge, frère Abel et Fabien rencontrent Idriss qui souhaite venir en France ; ils lui proposent de l’accueillir au Monastère et partent avec lui visiter sa case et le village voisin.

Dimanche 28 Octobre : Journée à Ziguinchor et visite au village animiste de Mlomp : c’est très intéressant parce que les Diolas pratiquent cette religion ancestrale tout en étant chrétiens ou musulmans.
Mercredi 31 : Départ de Kachouane pour les îles du Cap-Vert, sans escale finalement aux Bijagos (Guinée-Bissau) : le visa est très cher et c’est une période de l’année où il n’y a pas de vent.
Préparatifs du bateau mardi et mercredi matin, puis dernière douche au campement avant de rejoindre Sterenn en annexe. Il est 17h, la marée est haute, il est temps de partir si nous voulons profiter du jusant. Reste à dégonfler l’annexe, la rincer, la sécher un minimum, et la ranger. Puis hisser la Grand Voile, démarrer le moteur qui, pour la première fois, semble fiable !!! Pour sortir de la Casamance et des bancs de sable de l’embouchure, avec le vent dans le nez, c’est un vrai bonheur ! Peu à peu, en prenant le large, le vent forcit et notre cap s’améliore au 310, directement sur Santiago.
“Pas le temps de cuisiner ni de dîner ce soir”, écrit Fabien sur le livre de bord.
Extraits du Journal de bord de Fabien :
Jeudi 1er Novembre : Au lever du jour, mes “jambes de mer” ne sont pas encore faites et je ne suis pas loin du mal de mer ! Pas d’appétit. Nous essayons de nous reposer tant bien que mal car le programme est sur “lavage” dans le cockpit et “essorage à 1200 tours” à l’intérieur du bateau !
Vendredi 2 : Toujours pas faim, juste un pamplemousse partagé, une orange chacun et un peu d’eau agrémentée du sirop local de bouye (fruit du baobab).
Samedi 3 : Le même programme machine est enclenché pour samedi et dimanche, et les quarts se passent à l’intérieur du bateau pour ne pas fatiguer mes fesses car mes escarres demandent des soins attentifs. Il est important de soigner tous les bobos qui se creusent à l’eau de mer car pour une traversée dans ces conditions, cela ne le fera pas !
Frère Abel s’inquiète pour son coéquipier dont les nombreuses plaies ne cicatrisent pas et il souhaite gagner rapidement l’hôpital de Praia de Santiago aux îles du Cap-Vert pour que Fabien soit soigné énergiquement. Ils resteront quelques jours, le temps qu’il faudra.
Dimanche 4 Novembre : L’île de Santiago est en vue et frère Abel se sent soulagé ; Fabien qui n’est pas loin de la septicémie, va pouvoir être soigné à l’hôpital de Praia.
Nous embouquons à la tombée de la nuit l’entrée de la baie axée plein Nord ; nous sommes bout au vent et avons besoin du moteur qui ne démarre pas !
Frère Abel tire des bords entre les cargos mouillés en rade, pendant 1/2 heure, le temps que Fabien, vraiment mal en point, arrive à calmer le moteur qui accepte de les mener vers le port, toussant et crachotant. En fait, un mécanicien trouvera enfin la panne, en Guadeloupe !, et les navigateurs auront fait toute cette traversée sans disposer d’un moteur fiable.
Depuis quarante ans que frère Abel n’a pas navigué dans les îles du Cap-Vert, la situation s’est beaucoup dégradée. L’arrivée de nombreux coopérants européens a amené délinquance et prostitution. Aujourd’hui, dans le port de Praia, même la nuit, quelqu’un peut arriver à la nage, monter à bord, visiter le bateau et agresser l’équipage ! C’est déjà arrivé plusieurs fois.
Premier vrai repas depuis cinq jours, et au calme de surcroît.
Lundi 5 Novembre :
Fabien, arrivée à Praïa de Santiago – Cap Vert :
Dans quelle galère me suis-je mis ? Depuis la Casamance, les piqûres de moustiques, les blessures aux jambes et un érythème fessier non seulement ne cicatrisent pas mais s’aggravent sous l’effet du soleil, de l’eau de mer, de la transpiration.
Frère Abel m’invite à choisir de rentrer en France par avion ou de continuer si mon état le permet.
Pourquoi un tel besoin de souffrir ? Ne suis-je pas encore quelque peu maso ? De quoi suis-je capable ? Suis-je “à la hauteur” ? A la hauteur de quoi ? De qui ? Ai-je confiance en moi-même ? Vaste problème !
Je souffre en silence et m’agite intérieurement en espérant trouver une solution pour pouvoir continuer. Allez, j’y vais !
Abel : Mais quand donc les nains qu’il a dans la cafetière vont-ils cesser de s’agiter ?!
Au matin, les navigateurs sont accueillis par un couple Bordelais-Bretonne, Joël et Béatrice, sur leur catamaran pour un petit-déjeuner : “café au lait et pain grillé-beurre-confiture” précise Fabien. Super sympas, ces personnes œuvrent pour VSF (Voiles Sans Frontières) et ont transporté des brassières de sauvetage pour les offrir aux marins pêcheurs sur la rivière de Saloum.
VSF permet à des plaisanciers de joindre l’utile à l’agréable, et fait un magnifique travail. Maintenant que nous connaissons cet organisme de solidarité international, nous allons nous y inscrire et, pourquoi pas, proposer un partenariat en notre antenne Guadeloupe



Pascal, Christelle et Laura arrivent sur leur monocoque “amn’sthesie” pour repartir mercredi soir.
Comme le montre la photo ci-contre, les plaies de Fabien commencent à sécher (chlorure de magnésium en interne et externe, pyrogenium, antibio, lavage, désinfection, pansements à l’argent colloïdal, etc.), tout est mis en œuvre grâce aux soins et à l’aide de Laura qui est infirmière.
Mercredi 7 : Arrivée de Diego et Mathieu, deux jeunes belges de 18 et 20 ans, qui naviguent sur un Océanis 411 prêté par quelqu’un qu’ils n’ont jamais rencontré ! Diego et Mathieu partent pour la Gambie vendredi et prévoient de faire la traversée vers les Antilles ensuite.
Super ces jeunes !
Jeudi 8 : Surprise ! Un premier bateau de “Cap Vrai” (l’association qui avait accueilli “Hisse et Aime” au Salon Nautique en décembre dernier) arrive et deux autres suivent pour une escale de 2-3 jours. Leur objectif, c’est Panama pour voir le Pape à l’occasion des JMJ (Journées Mondiales des Jeunes chrétiens).
Samedi 10 Novembre : Frère Abel et Fabien vont à la messe organisé par “Cap Vrai” en la cathédrale de Praia. Ils retrouvent Thierry Pichon, chef de bord sur un 18m où il vient d’embarquer Jules, un jeune de 20 ans, jusqu’à Mindelo, île de San Vincente. Jules fait du bateau-stop pour la première fois de sa vie !
Nous retrouverons Jules et Pascal en Guadeloupe, le jour de Noël, et nous hébergerons Jules durant huit jours, sur un bateau de 12m qui nous aura été prêté. Jules pourra se souvenir du temps passé avec nous pendant cet hiver 2018/2019.

Quintino, Fabien

sur le bateau-atelier de Pinto et Quintino

Mardi 13 : Départ pour l’île de Brava, loin de la pollution du port de pêche de Praia, afin que les plaies de Fabien puissent cicatriser au mieux.
Certainement, les navigateurs-pèlerins n’appareilleront pas le 11 novembre, jour commémoratif de l’Armistice de 1918, mais quelques jours plus tard.

Samedi 17 Novembre au matin : VOILA, C’EST LE GRAND SAUT… ET C’EST PARTI POUR 3 SEMAINES ENVIRON !
Jeudi 22 Novembre : Nous avons mis le tourmentin. Le moral des troupes est bon.
Dimanche 9 Décembre :
Nous arrivons en Guadeloupe après 22 jours en mer, à la marina de Rivière Sens, comme nous l’avions prévu il y a six mois.
Une très belle traversée, mouvementée, magnifique, dans de super conditions météo : pas trop de vent au début puis vent fort (Tourmentin, voilure réduite à 2m²), ensuite 10 jours sous Génois, puis 2 jours avec peu de vent, globalement une mer toujours formée et forte par moments.
La dernière semaine de navigation, nous n’avions plus d’électricité à bord : plus de GPS, plus de sondeur, plus de loch speedo. On a fait sans !
Fabien, arrivée au Antilles :
Après 22 jours de traversée, je suis épuisé physiquement et content d’être arrivé à la Marina de Rivière Sens, en Guadeloupe. Je sature de navigation ; j’ai juste besoin d’une pause mais à nouveau je ne dis rien et cela génère une tension intérieure, une colère. Je me réfugie dans la solitude.

Mardi 11 Décembre :
Le matin, Thierry Philippe, journaliste à France TV, nous interviewe et nous filme.
Le reportage passe en direct sur Guadeloupe 1ère, en fin du journal de 13h et du journal régional de 19h30.
Lundi 24 Décembre : Adrienne décolle de Paris pour Pointe-à-Pitre.
Les navigateurs vont rester à la marina de Rivière-Sens plusieurs semaines, et en Guadeloupe plusieurs mois, avec l’objectif de créer une antenne de l’association « Hisse et Aime », soit à Rivière Sens, soit aux Saintes, avec des partenaires guadeloupéens intéressés et motivés.
Lundi 31 : Nous retrouvons Joël et Béatrice, rencontrés au Cap-Vert.

Fabien, Epilogue :
En bilan de ces 4 mois de navigation, je dirais : « Quelle galère ! »
Mais comme on dit en Guadeloupe, “pani pwoblem !”: de l’imperfection du monde et de leur propre imperfection, les Guadeloupéens rient beaucoup. Ils sont joyeux, simples ; cela fait du bien !
Aujourd’hui, le projet ponctuel de partenariat avec l’association Nou La Osi, me donne une nouvelle motivation.
Merci les Etoiles et les Nuages de votre accompagnement nocturne et diurne.
Merci les “Grains” de m’avoir, bien souvent, remis l’esprit en place…
Merci le Vent, la Mer, le Soleil, la Lune et la Vie.
Merci “Capitaine” d’avoir veillé sur moi, soigné mes blessures, et de m’avoir permis d’aller au bout de cette intense “aventure”.
Début février, plusieurs membres de l’association Hisse et Aime, viennent les rejoindre pour trois semaines : Françoise T., Annick T., Colette, Stéphane, frère Eric et Sylvie.
L’équipage prévoit de sortir Sterenn au port de Basse-Terre, vers la mi-février, de le mettre sur une remorque et de l’hiverner au sec, à Petit-Bourg chez Nautic SES.


Vendredi 8 février à 18h : “Rencontre-Echange : Une Transat pour la Paix” à la Maison de la Presse de la marina de Rivière Sens.
Samedi 16 : visite au jardin botanique de Deshaies dit “jardin de Coluche”.
C’est le plein carnaval ! Tous les dimanches, une commune différente accueille les défilés.
Mercredi 13 mars : En présence de Fabien, Pôle Emploi convie des jeunes guadeloupéens à la marina de Rivière Sens pour leur présenter différents métiers liés à la mer.