Antenne Guadeloupe
Frère Abel et Adrienne sont rentrés en métropole le lundi 4 mars et nous font le bilan de l’installation de l’antenne “Hisse et Aime” en Guadeloupe :
Notre implantation en Guadeloupe est le résultat de cinq rencontres fortes.
PREMIÈRE RENCONTRE
Sarah Epiard est une femme extraordinaire, responsable de l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre. Elle est enthousiaste et parfaitement consciente du fait qu’il y a, en Guadeloupe, un blocage inconscient au niveau collectif, dû aux ancêtres, et que nous pouvons contribuer à résoudre ce problème. Pour elle, comme pour nous, si le passé n’est pas purifié, l’à-venir ne peut être que la reproduction de ce qui a été.
Un bateau est un utérus : un brick négrier a pu permettre, à l’époque de la « traite », de faire naître un esclave ; un voilier moderne, utilisé comme outil de travail thérapeutique, peut aujourd’hui engendrer un être libre.
Edouard Glissant, écrivain martiniquais, écrivait que “la première matrice qui a fait de l’Africain un esclave antillais, c’est la cale du bateau négrier”, “la deuxième matrice, c’est la plantation où l’esclave prisonnier se résout à sa condition de sous-homme”. Nous pensons que, comme le Français de métropole, l’Antillais a tendance à se vivre en tant que victime. S’il est malheureux, c’est la faute des autres…
En fait, il est une double victime mais ne s’en rend pas compte :
– Il est effectivement descendant d’esclaves et s’en souvient (cela ne remonte qu’à douze générations). Mais, quand on dit cela à un Blanc-blanc, il hausse les épaules !
– Il est aussi, et ne veut pas s’en souvenir, descendant d’esclavagistes. Sa couleur chocolat ou café au lait le confirme.


Lors des différents carnavals, les fouets d’esclaves claquent et nous prouvent que nous ne rêvons pas : il sera difficile de guérir de ce double traumatisme ! Déjà, il faudrait accepter de le voir !
25% de chômage en Guadeloupe… et 40% de chômage pour ce qui concerne les jeunes de 18 à 25 ans. Un travail d’insertion est-il possible en ces conditions ? La plupart des jeunes, ainsi que beaucoup de leurs aînés, estiment qu’ils n’ont pas à travailler parce qu’ils considèrent que l’Europe blanche leur doit réparation !
Ils s’indignent, par exemple, parce qu’à la fin de la 2nde guerre mondiale, aucun homme de couleur n’a défilé sur les Champs-Élysées, et nous les comprenons.
Aujourd’hui, les jeunes ne souhaitent pas être “insérés”. Ils veulent être heureux et que leur vie ait un sens. Faute de motivation, ils ont tendance à se traîner.
” L’ insertion ” est un vrai problème.
Il est nécessaire, pour qu’un jeune s’insère durablement dans le tissu social, qu’il le fasse en bonheur. Tant qu’il est dans la colère et l’insatisfaction, il ira d’échec en échec. Nous avons remarqué, depuis 20 ans, qu’un jeune qui enfin va bien, s’insère aisément, puisque, allant bien, il se sent respecté, vu pour ce qu’il est, et amène volontiers sa contribution à la société.
Aussi, l’association Hisse et Aime propose, avant tout, un travail de « pré-insertion ».
DEUXIÈME RENCONTRE
Un journaliste de Guadeloupe Première nous dit, début février, que nous sommes « à côté de la plaque » et que si les jeunes guadeloupéens ne sont pas attirés par la mer, ce n’est pas à cause d’un traumatisme quelconque mais simplement parce qu’ils n’en ont pas envie.
TROISIÈME RENCONTRE
Nous sommes invités ce 19 février, dans la classe de Madame Julie Elbourg, à l’école élémentaire des Abymes, pour une rencontre avec les enfants de CM1 et CM2, sur le thème :
La Paix du Monde est-elle possible ?
Madame Elbourg a proposé aux enfants de sa classe un travail sur la
mémoire de la guerre 1914/1918 et ils ont réuni toute une documentation.
Le courant passe, avec elle comme avec les enfants.
Frère Abel pose la question :
« Selon vous, quelle est la cause de toute guerre ? »
Un enfant lève la main et lui répond : « C’est la profitation, Monsieur. »
Ravi, frère Abel va vers l’enfant, pose ses mains sur ses épaules et lui dit : « Bravo mon frère, tu as tout compris ! »
Ces jeunes avaient déjà décidé, dans le cadre de l’opération Parlement des enfants, organisée par l’Éducation nationale et l’Assemblée nationale, de faire la proposition d’une nouvelle Marseillaise, moins sanguinaire et plus constructive. Suite à notre passage, nous pensons qu’ils sont maintenant conscients que « proclamer son droit à la liberté ne rend pas libre », aussi ils proposent une nouvelle devise :
Fraternité, Égalité, Liberté
Parce qu’il n’y a pas d’égalité sans la fraternité, nous disent-ils, et pas de liberté sans l’égalité.
Leurs vœux seront remis au gouvernement par l’intermédiaire du député de Guadeloupe.
Madame Elbourg a essayé de mettre en place des classes de mer, comme elle l’avait fait avec succès quand elle travaillait en métropole. En Guadeloupe, elle s’est heurtée à un refus, tant de la part des enfants que de leurs parents. Julie Elbourg pense alors qu’un travail de fond est à entreprendre, face à un traumatisme réel.
Le journaliste, précédemment rencontré, affirme qu’un « Centre d’Interprétation de la Mer » suffirait à donner aux jeunes le goût de la mer et de l’aventure, et faire de ce pays un lieu où chacun pourra danser sa vie.

Madame Elbourg souhaite organiser un voyage à Verdun avec les enfants concernés, et nous souhaitons de tout cœur les accompagner.
Ensemble, nous constituons donc un « laboratoire », les enfants étant les rapporteurs de notre action commune, auprès du gouvernement français.
Sarah Epiard nous a dit : « Vous devriez rencontrer Franck Phazian, je le connais bien, c’est quelqu’un qui, comme vous, a du cœur, qui n’a pas ses deux pieds dans le même sabot et qui fait exactement le même travail que vous : il accueille des jeunes en grande difficulté et leur redonne confiance en eux, par la construction navale et la navigation. »
QUATRIÈME RENCONTRE

Très vite, nous avons pris conscience qu’en tant que métropolitains peu bronzés, nous avions peu de chance de pouvoir nous inscrire dans les actions sociales de ce pays : les Blancs-blancs qui prétendent tout savoir et qui veulent tout diriger, les Antillais en ont ras la casquette !
Le 8 février, lors d’une rencontre organisée à la Maison de la Presse de la marina de Rivière Sens, nous rencontrons Franck Phazian.
En une plaquette de son association Nou La Osi, il écrit :
« En 25 ans à travailler dans l’insertion, je n’ai jamais trouvé un support aussi efficace que la voile traditionnelle pour remettre un être humain dans le droit chemin. »
Nous sommes pleinement sur la même longueur d’ondes.
Les jeunes dont nous nous occupons, Franck en Guadeloupe, nous en Bretagne, sont tellement isolés, chacun dans leur souffrance, qu’ils ne peuvent pas rencontrer l’autre et qu’ils ne peuvent pas se rencontrer eux-mêmes. On peut toujours essayer de leur inculquer la positivité, la solidarité, le courage, l’abnégation, la générosité par le vecteur de la religion, de l’instruction civique, ou par des séminaires de motivation, cela ne marche pas.
Sur un petit bateau, que ce soit l’une des 5 Saintoises de l’association Nou La Osi, ou que ce soit sur l’un des petits voiliers habitables de l’association Hisse et Aime, c’est la paix forte comme la guerre : le vieux poilu qui a appris à entendre l’arrivée d’un obus te dit : « Couches-toi. » Et tu te couches. C’est ainsi que tu sauves ta vie. Tu viens à l’humilité, tu vis une initiation dont tu ne sortiras pas semblable à ce que tu étais. Sorti de ce bateau, sorti de cette guerre, tu seras un homme ou une femme responsable, joyeux et solidaire… Et tu n’auras plus besoin qu’on « t’insère » dans le tissu social, cela se fera tout seul.


Tu ne viens pas vers l’association Nou La Osi ou vers l’association Hisse et Aime pour faire de la voile ou partir en croisière. Tu n’embarques pas sur l’un des bateaux de ces associations pour découvrir de nouveaux paysages ou de nouvelles sensations, tu y viens pour te découvrir et te trouver enfin, tel que tu t’es rêvé.
Franck Phazian (associations Nou La Osi, Kazabrok, etc.), vient de recevoir le 21 février 2019, le premier Prix pour l’Outremer de la Fondation « La France s’engage », des mains de l’ancien Président de la République, Monsieur François Hollande. Nous nous en réjouissons.
Le « droit chemin » dont nous parle Franck, nous paraît tracé : dès la fin de la saison des cyclones, en novembre 2019, l’Antenne Guadeloupe « Hisse et Aime » sera sur place en tant que partenaire de « Nou La Osi » pour l’aider ponctuellement en ce travail.
Il nous manque seulement une base à partir de laquelle nous pourrons accueillir des jeunes qui en éprouvent le besoin.
CINQUIÈME RENCONTRE
Il nous faut une base, un lieu où les jeunes embarqués pourront lâcher leurs addictions et leur mal-être, où ils pourront trouver ou retrouver équilibre et enthousiasme.
Frère Abel et Fabien appareillent avec Sterenn pour Terre-de-Bas aux Saintes.



Cette île est la parente pauvre, ce n’est pas Terre-de-Haut, l’île « principale » où peuvent débarquer les passagers des yachts de luxe, comme « Club Méditerranée III », un réel paquebot à voiles, gréé de cinq mâts et sur lequel des touristes, par centaines, peuvent découvrir un certain aspect des Antilles.
Il y a 900 personnes qui vivent sur cette île. À l’île de Sein, nous sommes, à l’année, environ une centaine. Cependant, il semble que nous ayons bien des problèmes communs : précarité face aux catastrophes naturelles, scolarisation, autonomie énergétique, recyclage ou élimination des déchets, peu d’activités, peu de tourisme.

Nous rencontrons un homme qui vient de pêcher, il est sur la plage en train d’écailler ses poissons. Il se nomme Emmanuel Duval. C’est un ancien enseignant et il aime visiblement les jeunes, ainsi que son île :
“Mon île est saine et simple, pourtant j’aimerais qu’il y ait un peu plus de voiliers qui fassent escale ici et fassent travailler les commerçants.”
Suite à la dernière Route du Rhum et des échanges de délégations, Terre-de-Bas est en préparation d’un jumelage avec Saint-Malo.
Il se trouve que Monsieur Emmanuel Duval, le pêcheur rencontré, est le Maire de Terre-de-Bas. De but en blanc, il me propose un jumelage entre nos deux îles. Je trouve cela formidable, mais nous n’avons ni impôts locaux ni taxes professionnelles à l’île de Sein, et la municipalité doit donc accomplir des prouesses pour que l’île puisse simplement survivre.
Un jumelage entre l’Ile de Terre-de-Bas aux Saintes et l’Ile de Sein ?
Qu’importe, après tout, que nous ayons de tout petits moyens, à l’évidence ce jumelage serait bénéfique pour les deux îles, et il n’est pas dit que la municipalité aurait à débourser le moindre centime.
Lors de cette rencontre, M. Duval nous demande le numéro de téléphone du Maire de Sein. Ce numéro est sur liste rouge. Adrienne nous transmet celui du premier adjoint, Ambroise Menou, et très spontanément Monsieur Duval décide d’appeler l’ami Ambroise.
Il est 16h30, soit 21h30 en France ! M. Duval me voit tiquer un peu : appeler un élu que l’on ne connaît pas à 9h et demie du soir, n’eo ke gwir !
– « Il y a un problème ? », me demande-t-il.
« Non », lui dis-je, « ça devrait le faire ! »
Et il appelle Ambroise en métropole.
Sacré gaillard, ce Monsieur Duval !
Affaire à suivre…

Printemps et Eté 2019, nous poursuivons nos activités en Bretagne et en Anjou : retraites, accueil de jeunes, permaculture, travail de la vigne, charpente marine, navigation, et suite de la construction d’une petite structure où bien vieillir (la Maison d’Odette).
Dès Février 2020, rendez-vous en Guadeloupe, en partenariat avec l’association Nou La Osi.
Février 2021 : du fait de la pandémie de Covid qui dure qui dure, le projet d’une antenne Hisse & Aime en Guadeloupe a été pour l’instant ajourné.