
Escale au Sénégal
Stéphane est responsable, entre autres, de travaux portuaires. Il est à Dakar pour proposer au gouvernement des travaux de dépollution. Plus encore qu’au port de Nouakchott, la pollution est maximale ici : plage couverte d’immondices et de sacs poubelle, pas de pêche possible (sauf des plastiques), et surtout pas de baignade (eau infectée).
Les Sénégalais sont très chaleureux, dans ce quartier de pêcheurs, plein de pirogues magnifiquement décorées.
Mercredi 17 : L’après-midi, l’équipage charge l’avitaillement sur Sterenn et va dormir à bord pour quitter Dakar le lendemain.
Jeudi 18 : Départ le matin vers la Casamance, au sud du Sénégal, avec une escale à MBour, au Sud de Dakar. Sterenn mouille le soir à Sali-Pordudal, réservé à des bateaux qui ont très peu de tirant d’eau. Le Président du Sénégal est présent ce jour-là pour poser la première pierre du futur port de plaisance de Sali.
Fabien et Abel continuent leur pérégrination vers la Casamance. Ce vendredi 19 Octobre 2018, ils quittent de bon matin le mauvais port de Sali Portudal, où le bateau a dansé la gigue toute la nuit. Ils ont veillé chacun leur tour, le mouillage étant peu sûr. Ils mettront 48 heures pour gagner la Casamance, et l’excellent « campement Sounka » de Papis, un sénégalais à demi douarneniste qui les a magnifiquement accueillis, face à l’îlot Karabane.
A la Vie, à la Mer !
« Pas question de relâcher notre attention : tout le long de la côte, des centaines de filets flottants attachés les uns aux autres sur plusieurs kilomètres, à peine signalés par de minuscules flotteurs improvisés, morceaux de liège, bouts de bois et emballages plastiques. Il nous faut faire attention à ne pas abîmer le matériel des pêcheurs. La nuit, il est encore plus difficile d’éviter tous ces filets, aucune perche lumineuse pour les repérer.
Le samedi matin, nous sommes au large de la côte de Gambie, à cinq miles environ de l’entrée de la rivière Saloum qui est sur notre travers bâbord, nous sommes fatigués. A un ou deux miles de nous, la présence constante de quelques grandes pirogues de pêche.
Nous avançons doucement, poussés par une faible brise de Nordet. Je suis à la barre, Fabien bricole à l’intérieur du bateau. La côte, sur bâbord, se découpe nettement au dessus de l’eau. Je suis à demi endormi à la barre, souvent je pique du nez et somnole quelques instants.
En début d’après-midi, en ce demi-calme, creux et aussitôt un train de houle énorme qui me tire brutalement du sommeil, Bang !… Branle bas de combat : C’est une pirogue qui vient de nous assaillir à grande vitesse, heurtant notre flanc tribord. Je ne l’ai pas entendue arriver, Fabien non plus. Un grand noir costaud, à moins de deux mètres de moi, à l’arrière de son bateau, est déjà en train d’amarrer un bout sur le taquet tribord arrière de notre cockpit. Un autre, au niveau du bau de la pirogue, prestement, fait de même sur notre avant.
Sans aucun doute, je me suis endormi durant quelques minutes et cette pirogue s’est détachée de la flottille de pêche et a mis très peu de temps pour nous rejoindre.
Tout va très vite : je regarde près de moi le visage fermé et hostile du marin qui visiblement commande cette embarcation, je vois dans les fonds de la pirogue une machette à portée de sa main, quatre pneus de voiture qui doivent servir de pare-battages quand ce bateau est à couple d’autres pirogues, une autre machette à l’avant près de l’autre marin… pas de poisson dans les fonds, un gros moteur hors-bord d’au-moins 150 chevaux, qui est au point mort mais pas encore coupé.
Ils n’ont pas jugé utile de placer un ou deux pneus, avant de nous aborder en force. Pourquoi ? Ces gaillards sont arrivés moteur à fond, ont percuté notre flanc tribord, endommageant légèrement le bordé, juste avant de se ranger à couple. Leur pirogue est deux fois plus grande que Sterenn, cinq fois plus lourde au moins, et ses bordés ont plusieurs centimètres d’épaisseur, contre 9 mm dans les hauts pour notre voilier.
Veulent-ils notre portefeuille ou même notre peau ? De là où elles sont, les autres pirogues ne peuvent voir clairement ce qui se passe ici.
Je m’inquiète sérieusement.
Le costaud qui commande vient de mettre son moteur au point mort. Il me regarde et aboie méchamment : « Water ! ». Aussitôt, il se tourne vers son moteur et le coupe.
Il se retourne vers moi… et juste à point nommé,
on voit jaillir dans l’encadrement de la porte du roof le visage de Fabien,
juste sa tête. Heureusement on ne voit pas ses mains !
Le géant noir est visiblement interloqué par cette apparition, il semble penser quelque chose du genre : « Shit ! (Merde !), ils sont deux, et celui-là n’a-t-il pas, par hasard, un pétard à la main ? »
J’en profite, j’hurle : « No water ! », balance à l’eau son amarre arrière, commande au matelot guinéen de défaire fissa celle qu’il a mise sur notre avant. Il obtempère aussitôt, et dans une colère digne du capitaine Haddock, je les envoie au diable en les traitant de tous les noms d’oiseaux !
Les deux gaillards hébétés voient notre bateau s’éloigner doucement poussé par la brise qui gonfle faiblement le génois et la grand-voile. Ils remettent leur moteur en route et repartent plein pot vers la côte sans demander leur reste et sans un mot.
Je pense alors : s’ils manquaient de carburant, seraient-ils repartis à cette vitesse vers la flottille de pêche ? Et s’ils n’en manquaient pas, avaient-ils le moindre problème pour se ravitailler en eau ? S’ils étaient assoiffés, pourquoi n’ont-ils pas demandé d’eau aux pêcheurs qui étaient près d’eux ?
Nous ne saurons jamais si nous avons échappé de peu à la mort ce jour-là !
Le tout a duré à peine vingt secondes. Cet épisode a été le moment le plus chaud de tout le périple Île de Sein, Côtes africaines, Antilles, Açores, Île de Sein ! »
Dimanche 21 Octobre : Après une navigation de 2 jours sans beaucoup de vent et sans moteur, arrivée à l’aube en Casamance
Superbe moment, ambiance du lever du jour extraordinaire ; ça change de la ville et de la pollution !
Nous embouquons la rivière Casamance. Nous passons les bancs de sable de l’entrée, à la voile (GV + Génois), le moteur ne fonctionnant toujours pas, puis bifurquons vers la droite, dans le bôlon de Kachouane, pour passer au Sud de l’île de Karabane. Nous arrivons au « Campement Sounka », chez Papis dont nous avons entendu parler au Centre de Voile de Dakar.
Superbe accueil !

A Kachouane, nous partageons la vie d’une communauté Diola où Musulmans et Chrétiens vivent dans le respect et s’entraident mutuellement. C’est un vrai bonheur. Ici, chacun est curieux de l’autre ; la rencontre, l’échange, la discussion, constituent la priorité pour une vie heureuse.

Bijou et Titina préparent de délicieux plats locaux (poulet Yassa “bicyclette” : qui a beaucoup couru !) qu’ils partagent, accompagnés d’une bouteille de Côtes du Rhône offerte par Marie-Claude, une Bretonne très sympa, qui tient le restaurant au Centre de Voile de Dakar.



Sterenn est mouillé devant le campement Sounka et à marée basse, l’équipage en profite pour faire le carénage.
Mardi 23 : Nous emmènerons Bijou pour une petite navigation à la voile entre les services du déjeuner et du dîner, s’il y a du vent !, ce qui n’est pas le cas au lever du jour.
Lindo, le sculpteur, que nous allons voir dans sa case et qui fait un magnifique travail, nous permet de rencontrer Dam, l’infirmier bénévole du village. Nous allons le voir pour lui offrir les deux plants d’artemisia que nous avait donnés Pierre, l’ingénieur agronome, à Tivaouane. Dam nous emmène visiter son jardin, ses rizières et sa case d’infirmier gouvernemental ; il nous parle des arbres et plantes médicinales dont l’utilisation lui a été enseignée par son père et son grand-père qui avaient la même fonction que lui.
Après ce bel échange, nous allons à l’école du village où nous sommes invités par le directeur à assister à une leçon de mathématiques donnée à des élèves en CE1. C’est passionnant !
Il y a ici la tradition du « bol » (riz, poisson, sauce aux oignons). Toute personne, qui arrive à l’heure du repas, s’installe à la table et mange autour d’une bassine unique, avec sa main droite, comme tout le monde. C’est un pays civilisé ici. Si tu es riche, tu ne meurs pas d’ennui et si tu es pauvre, tu ne meurs pas de faim.
“Kinde-kandan” comme l’on dit ici : “A Votre Santé !”


Mercredi 24 : En allant laver leur linge, frère Abel et Fabien rencontrent Idriss qui souhaite venir en France ; ils lui proposent de l’accueillir au Monastère et partent avec lui visiter sa case et le village voisin.
Dimanche 28 Octobre : Journée à Ziguinchor et visite au village animiste de Mlomp : c’est très intéressant parce que les Diolas pratiquent cette religion ancestrale tout en étant chrétiens ou musulmans.

Mercredi 31 : Départ de Kachouane pour les îles du Cap-Vert, sans escale finalement aux Bijagos (Guinée-Bissau) : le visa est très cher et c’est une période de l’année où il n’y a pas de vent.
Préparatifs du bateau mardi et mercredi matin, puis dernière douche au campement avant de rejoindre Sterenn en annexe. Il est 17h, la marée est haute, il est temps de partir si nous voulons profiter du jusant. Reste à dégonfler l’annexe, la rincer, la sécher un minimum, et la ranger. Puis hisser la Grand Voile, démarrer le moteur qui, pour la première fois, semble fiable !!! Pour sortir de la Casamance et des bancs de sable de l’embouchure, avec le vent dans le nez, c’est un vrai bonheur ! Peu à peu, en prenant le large, le vent forcit et notre cap s’améliore au 310, directement sur Santiago.
“Pas le temps de cuisiner ni de dîner ce soir”, ajoute Fabien sur le livre de bord.