
Escale au Maroc : Essaouira
Du samedi 18 au vendredi 24 Août 2018
Après avoir hésité à faire escale à Peniche (Portugal), Sterenn continue sa route vers le Sud, continuant à bénéficier de vents de Nord ou Nord-Est entre 15 et 20 nœuds.
Samedi 18 : Sterenn et son équipage arrivent en début d’après-midi à Essaouira au Maroc, ayant réalisé une bonne vitesse moyenne d’environ 4 nœuds sur l’ensemble du parcours, malgré une grosse houle certains jours.
Dimanche 19 : après deux nuits passées au port, au milieu des bateaux de pêche et du bruit, et après avoir changé de place, l’équipage décide de quitter le port et de mouiller sur la plage.
Les premiers allers-retours se font à la nage car il vaut mieux ne pas laisser l’annexe gonflable sur la plage toute la journée au soleil.
Le projet est d’aller à la Médina…
Frère Abel et Pascal vont tout d’abord se recueillir dans le quartier juif, à la Synagogue. Pour Pascal, c’est une première. Ensuite, frère Abel cherche à entrer dans une mosquée pour remercier ce même Dieu, au nom duquel nous nous étripons gaillardement depuis des siècles.
La plus grande fête musulmane de l’année, l’Aïd al-Adha (la Fête du Sacrifice) commence le mercredi 22 août. Frère Abel et Pascal aimeraient beaucoup se rendre à la prière de la Grande Mosquée, qui ouvre cette fête, non en touristes mais en frères qui respectent l’Islam.
Le monde a besoin de tolérance et la plupart des musulmans, des juifs et des chrétiens ne sont pas des fanatiques, loin de là.
En rappel du sacrifice d’Ismaël par son père Ibrahim et de l’intervention du messager qui a proposé un bélier pour éviter ce sacrifice humain, nous partageons le repas de la famille pendant presque une semaine (il faut bien partager le mouton jusqu’au bout !). C’est un moment très fort pour Pascal. Nous garderons toute notre vie Khaled, Fatimzahra et leurs enfants Salmane et Zahra, dans notre cœur.
Peut-être aurons-nous un jour la joie d’accueillir Salmane (8 ans) pour l’aider à accéder à des études supérieures en France.
Au bout de 2 jours, nous sommes connus de toute la population musulmane de la Médina qui vient à la rencontre des deux « marins musulmans bien qu’étrangers ».
Nous avons apprécié la fraternité et la ferveur qui règnent en cette cité. Nous y reviendrons.
Vendredi 24 Août 2018 : Frère Abel et Pascal font à nouveau une entorse à la tradition qui veut qu’on n’appareille pas pour un grand voyage un vendredi. Leur bateau est minuscule et ils doivent profiter de toutes les fenêtres météo favorables à leur périple. Ils prévoient 2-3 jours de navigation pour gagner les Canaries. Il est prévu un vent de N-NE à N-NO : 20 à 25 nœuds !, puis 18 nœuds en arrivant sur les îles.
Bon vent et bonne navigation !
Le 20 mars 2019, témoignage de Pascal, charpentier de marine et psychologue clinicien Au fil des jours et des quarts

L’un de nous deux, le jour comme la nuit, est toujours dehors dans le cockpit (la « baignoire », comme l’appelaient les anciens), « de quart » comme on dit. C’est qu’un bateau est aveugle et si nous ne voulons pas être abordés par un cargo, cette précaution est indispensable.
Le temps chronologique s’estompe pour laisser la place à l’espace, immense, la mer se confond avec le ciel. Il n’y a plus que l’espace jour et l’espace nuit, avec ou sans soleil, avec ou sans étoiles. Les pensées et la cogitation permanentes laissent la place à la contemplation, à l’émerveillement. Ça ne dure pas, malheureusement ! Il y a ce petit diable qui pointe le bout de son nez, dès qu’il y a la moindre brèche, il s’appelle “procrastination” (le fait de remettre toujours à plus tard).
Au cours de ce périple, j’ai pu prendre conscience que le moindre laxisme, la moindre inattention se payent comptant et sont tout de suite sanctionnés par une maladresse qui peut mettre en danger le bateau et l’équipage. J’ai vécu ces situations beaucoup plus fortement et intensément qu’à terre. En mer, c’est plus exigeant, les habitudes et la tranquillité se soldent toujours par un incident voire un accident. On dit qu’en mer les ennuis ne s’ajoutent pas mais se multiplient. J’ai pu le constater.
D’où, souvent mon angoisse dès qu’approchait la nuit par exemple. Tous les jours, en fin de journée, le vent forcissait et la mer se creusait. La peur m’envahissait, elle montait crescendo. Une peur viscérale, bien enfouie, que je n’avais jamais touchée jusqu’alors. La peur de laisser ma peau au milieu de cet océan sans fin, où il n’y a plus de repères rassurants.
Tous les soirs, nous réduisions la toile pour aborder la nuit plus sereinement et maintenir ainsi une certaine sécurité. C’était sportif ! Avec du vent souvent établi entre 15 et 20 nœuds et parfois une mer qui grossissait avec des creux allant jusqu’à 4 mètres, en vent arrière ou grand largue. Là, il faut être présent, se mettre en sécurité, une main pour le bonhomme et l’autre pour la manœuvre et le bateau. Il est strictement interdit de tomber par-dessus bord sous génois réduit et tangonné (pour le laisser grand ouvert). Le temps de mettre en route la manœuvre de “l’homme à la mer”, même si l’homme de barre est compétent et vigilant, à une vitesse de 3 à 4 nœuds, vous êtes perdu de vue très rapidement et quasiment irrécupérable. Pas le droit à l’erreur !
J’ai connu une ou deux situations limites… Malgré cela, je me suis toujours senti protégé, accompagné par frère Abel qui est un vieux loup de mer. J’ai eu le “loisir” de l’observer, dans ses gestes, dans ses actes qui étaient toujours calmes, réfléchis, posés, précis…
Cette Présence est indispensable, notamment quand la fatigue est là, voire l’épuisement suite à des jours sans sommeil réparateur. Il est alors impossible de manger un morceau tant les nausées prennent le dessus, seul un verre d’eau est salvateur. Tout peut devenir lourd, contraignant jusqu’à ce que je baisse les bras, et là, le petit démon revient au grand galop : cette procrastination terrible, aliénante et dangereuse pour les conséquences qu’elle engendre. Il est vital de la conscientiser dans son corps et de ne pas la laisser s’installer.
Elle a failli me coûter la vie, lors d’une prise de quart, un matin à 5 heures. On s’était fait secouer toute la journée et la nuit précédentes, je n’étais pas encore complètement amariné, je m’angoissais, la peur était prépondérante, ça tapait fort à l’intérieur du canot, à tout rompre. Au moment d’enfiler ma brassière, mes mains étant occupées, le bateau a fait une embardée, j’ai été projeté comme une pierre (de 70 kg) propulsée par un lance-pierre, dans l’équipet bâbord d’en face. Au passage ma tête a arraché l’extincteur et son support, le choc fut terrible. Je visualisais toutes les séquences, comme au ralenti, je me suis vu m’écraser le visage dans la cloison bois avec un bruit de craquement. Je me suis relevé, je saignais et je me suis dit que dans les secondes qui suivaient, j’allais mourir, que tout était fini. Ma tête ensanglantée a alors émergé dans le cockpit et regardé frère Abel, j’attendais son diagnostic.
Je crois que ce qui a amené tout cet enchaînement, qui aurait pu être dramatique, c’est surtout l’indignité. Le fait de ne pas être satisfait de soi, de se mésestimer, de se dévaloriser. A bord d’un bateau, d’autant plus quand il est minuscule, il n’y a plus d’espace pour ces sentiments égoïstes et ces émotions mal vécues ou réfrénées.
La navigation propose, permet de dépasser ses névroses bien ancrées. Il y a alors la possibilité pour l’inconscient de laisser sa place à l’Un-conscient. La mer et la navigation proposent la réalisation de cette transcendance. Il n’y a alors plus d’insatisfaction qui génère les désirs névrotiques. Une satisfaction peut naître, semble-t-il, qui amènerait un Désir de toujours plus collaborer avec la Vie.
Je ne pense pas en être à ce stade et il me semble qu’il n’est pas possible d’accéder à cet état seulement par ma propre volonté personnelle.
Malgré tout, je me rends compte que j’ai vécu de belles choses :
- Le salut d'un cachalot sur notre avant bâbord.
- L'accompagnement de centaines de dauphins.
- Des nuits magnifiquement étoilées.
- La relation à l'Espace tout entier, ne faisant qu'Un.
- Cette baleine énorme, de plusieurs tonnes, qui sonde devant l'étrave.
- L'atterrissage à Essaouira, les déferlantes qui s'écroulent dans un grondement d'orage sur les vieux remparts. La rencontre avec nos frères musulmans.
- Les îles enchantées des Canaries et leurs volcans.
- Toutes les rencontres de personnes extraordinaires…

Voilà tout ce que j’ai vécu au cours de cette Mini-Transat pour la Paix, hors du commun. Suis-je le même homme aujourd’hui, après cette aventure extraordinaire ? J’ai pourtant essayé par tous les moyens de ne pas la vivre. J’ai lutté pour ne pas embarquer à Sein. J’aurais encore raté l’occasion d’être heureux !
Ce périple n’était pas une simple croisière hauturière mais une Initiation, une initiation à devenir un homme libre.
Merci la Vie.