Lundi, 10 septembre 2018, La Graciosa.

En 1914, en France, 4 millions d’hommes ont été appelés sous les drapeaux. Ils souhaitaient, si j’en crois “l’histoire de France”, nous éviter de vivre sous le joug des “barbares germains”.

Marocains, Algériens, Tunisiens, baptisés Tirailleurs, Zouaves ou Spahis, Sénégalais, Gabonais, Soudanais, Maliens, Ivoiriens, réunis sous le drapeau des tirailleurs sénégalais, Tonkinois et Indochinois, Antillais et Polynésiens, Alsaciens et Lorrains, Bretons, Basques, Catalans, Périgourdins ou Ch’timis, ils ont quitté leurs parents, leurs enfants, leurs amis, pour venir crever comme des rats dans les tranchées boueuses de Verdun.
Des rats au milieu des rats, mangés par les poux, dans un bain de sang, de pisse, de merde et de misère, sous la mitraille permanente, creusant, comme des taupes, des galeries qui arrivaient sous les tranchées adverses pour les miner, pendant que l’ennemi creusait des galeries semblables pour miner les tranchées françaises.
L’horreur à l’état pur !

Tous ces “Français” venus des pays du soleil ou de la métropole, sont-ils morts pour la France ? Les Allemands sont-ils morts pour l’Allemagne ? Je ne crois pas.
Peut-être bien, l’homme ne sachant vivre en paix, ni avec lui-même, ni avec ses voisins, essaie de s’accommoder de la barbarie ambiante, et il n’y arrive pas. C’est peut-être son sentiment de culpabilité et un manque de savoir vivre en paix qui le conduisent régulièrement à subir la guerre, depuis des temps immémoriaux. De plus en plus, les femmes et les enfants font les frais de la colère de l’homme, ce qui est inacceptable.

Régulièrement, tous les 30 ou 40 ans, les banquiers, les politiques et les marchands d’armes s’allient aux journalistes pour relancer l’économie… et leurs contemporains se ruent à l’abattoir, la fleur au fusil : il est si facile de manipuler les masses…
Serait-ce par désespoir de se voir si lâches, par désespoir de ne pas oser construire la paix, que les hommes vivent la course aux loisirs, se contentent de se bronzer les fesses sous le soleil des Canaries, ou courent en tous sens, le plus vite possible, pour surtout ne pas réfléchir ?
Ensuite ils se font la guerre quand ils n’en peuvent plus de cultiver l’indignité.
Tout cela n’est pas nouveau ; avant les voyages de masses aux Canaries et aux Antilles, il y a eu le French Cancan, les ballets roses et les Croisades.

J’évoque souvent ce problème de la paix et fais figure de gêneur et de rabat-joie aux yeux de certaines personnes.

Il semble qu’un doute plane sur la confiance que l’on pourrait avoir quant à la nature positive de l’être humain et la possibilité d’un avenir heureux pour les enfants des hommes. Ce doute fait que nous n’envisageons même pas qu’il pourrait être possible de construire ou de participer à l’édification d’un monde de paix.
Certes, se remettre en question est dérangeant pour l’ego. La plupart des hommes ou des femmes modernes ne voient même pas l’intérêt d’un travail personnel et collectif de remise en question.

Morts pour la France, les poilus de 1914-18 ?

Sachant ce qui s’est passé à Dakar et Morlaix en 1944, je ne suis guère fier d’être français, je n’en ai pas honte non plus. Je fais simplement ce que, en mon âme et conscience, je crois devoir faire.
Avec des amis, j’ai fondé, il y a 20 ans, un Monastère œcuménique et laïc. Il est surtout fréquenté par des athées qui cherchent un sens à leur vie et qui, Dieu merci, souhaitent rester fidèles à leur religion : “à leur manière de se relier à la vie”, si j’en crois un certain Cicéron. Ces athées, musulmans, chrétiens ou bouddhistes du monde entier, se réunissent régulièrement en ce monastère atypique pour essayer d’apprendre à y vivre plus en paix.
Ensemble, nous avons mis en place ce pèlerinage pour dire aux Marocains et aux Sénégalais, aux Antillais et aux Polynésiens, que leur arrière-grand-père n’est pas mort pour rien durant la guerre 14-18. C’est aussi pour remercier ces poilus de toutes les couleurs et faire que leur mort s’avère utile aux progrès de notre humanité que nous avons organisé ce pèlerinage sur un voilier minuscule ; et chacun est invité à participer à ce beau voyage.

Frère Abel Touzet,
responsable de l’éthique au Monastère œcuménique et laïc du Gai-rire.